Hiatus, lacunes et absences : identifier et interpréter les vides archéologiques
31 mai-4 juin 2021 Toulouse (France)
De la mesure de la représentativité des données archéologiques à l'identification de faits historiques en Protohistoire : méthodologie appliquée dans le val d'Allier (Puy-de-Dôme, sud Allier)
Florian Couderc  1@  
1 : Travaux et recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés  (TRACES)
Université Toulouse - Jean Jaurès, Centre National de la Recherche Scientifique : UMR5608
Maison de la Recherche, 5 allée Antonio Machado 31058 TOULOUSE Cedex 9 -  France

La multiplication des opérations d'archéologie préventive ces trente dernières années en France a considérablement augmenté la quantité des données disponibles pour l'étude des dynamiques d'occupation du sol et de leur évolution durant la Protohistoire. La Basse-Auvergne n'a pas échappé à ce renouvellement de l'information. Le nombre de sites reconnus pour l'âge du Bronze et le 1er âge du Fer a été multiplié par trois depuis les années 1990. Il convient néanmoins de fortement pondérer ces chiffres, car si l'archéologie préventive joue un rôle majeur dans cette hausse, c'est en réalité les diagnostics qui sont les opérations les plus prolifiques : 99 sites contre 37 pour les fouilles pour un total de 288 sites référencés. Les diagnostics documentent donc 2,5 fois plus de sites que les fouilles. Nous disposons finalement d'une documentation en mosaïque du territoire, d'autant plus que les prescriptions ont souvent été réalisées sur des typologies de site bien connues (nécropoles du Bronze ancien, du Bronze final et du 1er âge du Fer, habitat dense du Bronze ancien...). Ces opérations ne renouvellent que faiblement la documentation et exclue totalement les « petits » sites, pourtant cruciaux dans une approche globale des sociétés protohistoriques.

 

S'il est vrai que l'archéologie préventive a contribué à cette hausse des données, la professionnalisation de l'archéologie, le développement de la Protohistoire dans les universités et la multiplication des recherches en archéologie programmée et bénévole y joue un rôle tout aussi primordial. Si l'on prend en compte les sites reconnus en prospection aérienne et pédestre, ainsi que les fouilles et les sondages en programmée, 97 sites ont été reconnus, soit 35% de l'ensemble des sites référencés, contre 47% pour l'archéologie préventive. La différence se fait essentiellement sur le volume de données produit (en nombre de structures et en mobilier principalement) et sur les surfaces investiguées.

 

Une étude cartographique de la répartition des surfaces documentées démontre ici aussi toute la complémentarité entre ces deux approches. L'archéologie préventive renseigne quasi exclusivement les zones urbaines et périurbaines, tandis que l'archéologie programmée se concentre sur les zones rurales et sur les sites de hauteur. Les cartes de répartition des sites produites sont finalement biaisées par la politique d'aménagement et les projets de recherche. L'indice de représentativité des sites peut être calculé en comparant les surfaces ayant livré des vestiges protohistoriques, avec la surface totale des opérations conduites sur le territoire (diagnostics négatifs compris). Ces données sont disponibles à partir de la base Patriarche du SRA Auvergne-Rhône-Alpes. La carte produite permet d'identifier des vides et des concentrations de sites. Elle sert de support à l'analyse de la représentativité des sites protohistoriques afin d'identifier des comportements sociaux, économiques et politiques.

 

Cette pondération des données archéologiques met en évidence toutes les limites de nos approches sur le terrain. Ainsi, des périodes apparaissent comme des hiatus archéologiques : Néolithique final, Bronze ancien 1, Bronze moyen, Hallstatt D1-2. Les rares cas où des vestiges, ou du mobilier sont attribués à ces périodes, les sites sont caractérisés par des structures éparses, réparties sur une grande superficie, difficilement identifiables au cours des diagnostics et donc rarement prescrits.

 

Un autre biais est l'absence quasi systématique de datations radiocarbones sur les structures erratiques, n'ayant pas ou peu livrées de mobilier. Une fouille préventive récente réalisée sur un « petit » site à foyers à pierres chauffées du Néolithique sur la commune du Crest a mis en évidence toute la complexité des rythmes d'occupation. En effet, pratiquement toutes les structures ont pu bénéficier d'une datation radiocarbone, y compris celles n'ayant pas livré de mobilier. Les résultats ont mis en évidence un étalement de la chronologie des occupations du site, du Néolithique ancien, jusqu'au Néolithique final, là où le mobilier céramique ne renvoyait qu'au Néolithique moyen. Cet unique exemple pose la question de notre compréhension des durées d'occupation des sites et l'identification des périodes méconnues, sans une multiplication des datations radiocarbones, y compris sur les structures sans mobilier.

 

Dès lors, nous pouvons nous poser la question de la fiabilité de nos modèles d'occupation du sol à partir de nos corpus qui sont résolument fragmentaires, de par la nature des vestiges, mais aussi de nos politiques de recherche. Il convient de pondérer systématiquement la représentativité de nos données archéologiques, afin de limiter les interprétations qui découleraient d'une analyse erronée des cartes de répartition des sites. Les données issues des diagnostics doivent aussi être totalement reconsidérées, car elles sont les plus nombreuses et documentent des catégories de site jamais prescrites, notamment les zones de marge, les parcellaires ou les habitats dispersés. Il est aussi crucial de considérer l'archéologie préventive et programmée comme étant deux approches totalement complémentaires et indissociables. La réalisation de campagnes de sondages ou de fouilles programmées sur des espaces totalement vierges apporte généralement son lot « d'inédits », tout simplement parce qu'il s'agit d'actions profondément exploratoires, et ce, avec des moyens totalement dérisoires en comparaison du préventif. Il ne faudrait pas considérer outre mesure la multiplication d'opérations préventives sur des catégories de site déjà mainte fois abordées et dont l'enjeu est l'accumulation de données, sur des thématiques de recherche connexes comme la paléobotanique, l'archéozoologie ou l'affinement des typochronologies du mobilier. Une bonne compréhension des modalités de gestion et d'occupation des territoires passe résolument par une approche des diversités et non pas par une accumulation continue de données, dont le traitement s'avère de plus en plus chronophage et périlleux à mesure que les rapports d'opération s'accumulent.

 

Cette communication proposera de mesurer l'apport des données fourni par les différents secteurs de l'archéologie dans le Val d'Allier. Des vides et des concentrations de sites apparaissent et relèvent de faits historiques ou de biais dans la recherche. Pour les identifier, une analyse cartographique des surfaces investiguées se révèle utile et nécessaire. Les occupations diffuses et les périodes méconnues nous forcent à mener une réflexion sur la manière de les aborder et les limites des méthodes employées jusqu'à présent pour les caractériser. Cette communication a pour ambition de mesurer et de mettre en lumière l'influence de nos pratiques archéologiques sur nos approches, tant sur le terrain que dans nos modèles interprétatifs. 


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