Hiatus, lacunes et absences : identifier et interpréter les vides archéologiques
31 mai-4 juin 2021 Toulouse (France)
Détecter les activités humaines anciennes dans les forêts denses tropicales d'Afrique centrale : l'apport des macrorestes botaniques carbonisés
Julie Morin-Rivat  1@  
1 : Ph.D.
Chercheuse indépendante

Les données paléoécologiques et archéologiques récentes démontrent que les populations humaines ont depuis longtemps investi les forêts tropicales. En Afrique centrale, le nombre de preuves d'occupations humaines anciennes est croissant, particulièrement sur la côte atlantique. Toutefois, cette présence ancienne est sous-estimée dans les régions d'Afrique couvertes par la forêt dense. L'information relative aux patrons spatio-temporels de ces activités humaines est rarement disponible pour les zones situées à l'intérieur des terres. Nous avons développé une méthodologie quantitative et qualitative systématique pour détecter ces activités discrètes et diffuses, aujourd'hui invisibles en raison du couvert forestier. Nous proposons ici une comparaison entre deux zones d'étude situées dans des types forestiers contrastés du Sud-Cameroun. Quatre-vingt-huit sondages équidistants ont été creusés le long de six transects. Outre la récupération des artefacts, des quantités fixes de sol ont été échantillonnées par couche de 10 cm. Les restes botaniques carbonisés ont été récupérés par tamisage humide, triés par types : charbons de bois, endocarpes de palmier à huile et graines non identifiées, puis pesés sur une balance de précision. Cinquante dates radiométriques par spectrométrique de masse par accélérateur ont également été obtenues. Les données ont été traitées statistiquement, avec des analyses multivariées, spatiales et temporelles utilisant la méthode bayésienne. Les résultats montrent que les activités humaines sont documentées dans tous les sondages, soit par la présence d'artefacts, soit par celle de macrorestes botaniques carbonisés. Ces activités sont réparties en deux périodes : une Phase A, 2300-1300 BP, et une Phase B, 580 BP-actuel, avec un hiatus intermédiaire, connu pour l'Afrique centrale. Les deux phases d'occupation correspondent aux âges du Fer ancien et récent. Les restes botaniques carbonisés indiquent une structuration spatiale dichotomique entre deux types d'usage des terres : (i) l'un domestique, caractérisé par une association entre les endocarpes de palmier à huile et les tessons de céramique et (ii) l'autre agricole, caractérisé par des charbons abondants, témoins d'une agriculture itinérante sur brûlis. L'abondance des endocarpes de palmier à huile décroît en s'éloignant des villages identifiés. Aussi, les charbons sont concentrés dans un rayon de deux kilomètres autour de ces villages, ce qui correspond à la distance moyenne parcourue quotidiennement par les populations actuelles pour cultiver leurs champs de manière traditionnelle. Il est probable que ces patrons spatio-temporels reflètent une connaissance profonde de l'utilisation du territoire par les populations de l'Holocène récent, et particulièrement en termes d'espacement entre les villages et champs associés. Plusieurs variations spatiales ont été observées, avec un resserrement du maillage durant des périodes où les forêts étaient plus peuplées. Enfin, une forte dépopulation est visible à partir du milieu du XIXe siècle, correspondant au début de la colonisation du cœur de l'Afrique par les Européens. La méthodologie développée permet d'étudier à une échelle spatio-temporelle fine les patrons d'activités humaines dans les forêts denses humides d'Afrique centrale et, plus spécifiquement les pratiques agricoles anciennes, peu documentées en contexte tropical. Cette étude souligne aussi la nécessité des efforts de prospection sur le terrain et l'utilité des archives pédologiques hors-sites pour détecter des activités humaines extensives.


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