Hiatus, lacunes et absences : identifier et interpréter les vides archéologiques
31 mai-4 juin 2021 Toulouse (France)
Roches à graver / à ne pas graver. Concentrations des pétroglyphes et espaces vides dans les vallées alpines
Andrea Arcà  1, *@  , Angelo Eugenio Fossati  1, 2, *@  , Francesco Rubat Borel  3, *@  
1 : cooperativa archeologia Le Orme dell'Uomo  -  Site web
piazza Donatori di Sangue 1, 25040 CERVENO -  Italie
2 : Università Cattolica del Sacro Cuore di Milano  -  Site web
Largo A. Gemelli, 1 - 20123 Milano -  Italie
3 : Soprintendenza Archeologia Belle Arti e Paesaggio per la Città Metropolitana di Torino  (SABAP-TO)  -  Site web
Piazza S. Giovanni 2, 10122 Torino -  Italie
* : Auteur correspondant

La répartition géographique et la densité de l'art rupestre figuratif alpin protohistorique s'organisent suivant tout à la fois des zones de fortes concentrations et des espaces vierges de toutes gravures. Ainsi, l'étude de la distribution spatiale témoigne pour l'arc alpin de la configuration générale suivante.

Tout d'abord, deux grands pôles figuratifs (avec le complexe pétroglyphique du Mont Bego – 3 600 roches et 32 000 figures – d'une part, et celui du Valcamonica – 2 000 roches et plus de 150 000 figures – d'autre part) rassemblent des concentrations de milliers de supports distincts et de dizaines de milliers de figures préhistoriques. À ceux-là, il faut ajouter ensuite quelques autres complexes notables mais pour lesquels les représentations et la diversité des supports sont quantitativement moindres : Torri del Benaco dans la région de Vénétie – 250 roches et 3 000 figures –, Aussois-Les Lozes en Maurienne – 25 roches et quelques centaines de figures –, Carschenna aux Grisons – 11 roches et 350 figures. Enfin, se greffe une série de roches gravées isolées, voisinant avec des vallées totalement dépourvues de figures.

Pour certains chercheurs, ces concentrations appartiendraient à des systèmes de "sanctuaires rupestres", qui auraient attiré des afflux importants, mais non démontrés, de dévots ayant parcouru parfois de longues distances pour se rassembler sur ces lieux d'agrégation. Pour autant, à la faveur des analyses pétrographiques conduites ces dernières années, il devient admissible que les disparités observées dans la densité et la distribution géographique de cet art rupestre sont à corréler avec la nature des supports rocheux. En effet, les deux pôles figuratifs du Mont Bego et de Valcamonica sont les seuls sites à présenter des surfaces planes nombreuses et similaires, lissées pendant la glaciation, en grès ou pélite à texture très fine et ciment siliceux, qui permettent aisément une incision par piquetage et aussi une préservation des gravures sur plusieurs millénaires.

Les complexes mineurs montrent quant à eux des surfaces planes à texture fine moutonnées par les glaciers. Ils se caractérisent par des schistes lustrés en Maurienne et à Carschenna, des marbres gréseux-phylliteux à Aussois, des calcaires oolithiques à Torri del Benaco. La composante « calcaire », qui ne permet pas une bonne préservation des gravures, est dans tous ces sites largement contrebalancée par une composante « siliceuse » et donc plus résistante, ce qui permet la conservation de ces représentations gravées.

Enfin, le cas des figures gravées isolées confirme le modèle proposé. Des supports inadéquats peuvent accueillir des gravures figuratives grâce au fort rabotage glaciaire, comme le gneiss-micaschiste de la Pera dij Cros au Valchiusella dans le Piémont ou les phyllosilicates et les lentilles de quartz de la Rupe Magna au Valtellina en Lombardie. Dans toutes les autres zones, les surfaces clivables (micaschistes des Alpes occidentales), irrégulières et très sujettes à l'érosion (calcaires des Alpes orientales) rendent impossible la réalisation ou la conservation de figures gravées ; ce n'est donc pas un hasard si dans ces zones ne sont représentées que des incisions de type cupule, beaucoup plus profondes et gravées par burinage et rotation. L'hypothèse de la relation directe entre les concentrations de gravures figuratives et la qualité des supports peut être aussi démontrée à partir des principaux complexes pétroglyphiques européens, par exemple l'Alta en Norvège, où les grès siliceux fins sont identiques à ceux du Valcamonica, également soumis à la raboteuse glaciaire, et où l'art rupestre gravé est très bien conservé.

Pour conclure, le déséquilibre dans la distribution spatiale des figures gravées de l'arc alpin n'est pas inhérent à des facteurs d'ordre culturel ou démographique (densité de population en fonction des secteurs), ni à un déficit lié à l'état d'avancement de la recherche archéologique dans certaines zones, mais principalement à des conditions pétrographiques.

A traiter ailleurs la distribution chronologique, ou l'absence / présence de certains thèmes ou phases peut être liée a des conditions culturelles spécifiques.


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