Hiatus, lacunes et absences : identifier et interpréter les vides archéologiques
31 mai-4 juin 2021 Toulouse (France)

Programme > Par intervenant > Philippe Michel

L'arbre qui cache la forêt - métaphore de la pirogue monoxyle dans l'enregistrement archéologique des premières navigations
Michel Philippe  1@  
1 : Musée de Préhistoire du Grand-Pressigny - UMR 7324 CITERES-LAT
MUSEES DE FRANCE
3, Les Rôtis 37310 Saint-Quentin-sur-Indrois -  France

Sur les côtes de l'Europe, comme dans ses eaux intérieures, l'usage de moyens de transport nautiques par les populations préhistoriques ne fait pas de doute, depuis le IXe millénaire av. notre ère au moins si on se base sur les preuves directes (pagaies et épaves), depuis bien plus longtemps si on se réfère aux preuves indirectes de colonisations maritimes pionnières mondiales. Les indices matériels de déplacements attestent des traversées maritimes répétées vers Chypre dès les derniers siècles du Xe millénaire, vers les îles de l'archipel des Hébrides dès le milieu du VIIIe millénaire, et le détroit du Pas-de-Calais est traversé dès le début du IVe millénaire. Certains indices permettent même d'évoquer la possibilité de liens directs entre la Galice et la Bretagne à travers le golfe de Gascogne au milieu du Ve millénaire.

Dans l'imaginaire collectif portant sur ces premières navigations, les pirogues monoxyles occupent le premier plan. On les retrouve ainsi comme outil principal de plusieurs programmes expérimentaux de navigation en mer menés ces dernières années. A l'origine de cette prééminence, leur hypervisibilité dans l'enregistrement archéologique : du fait d'une conservation accrue due à la fois à leur forte masse ligneuse et à l'habitude de les couler pour les préserver du séchage lors des périodes de chômage, les pirogues monoxyles restent les seules embarcations connues jusqu'au IIe millénaire av. notre ère, en milieu marin et estuarien ; dans les eaux intérieures, elles restent seules documentées jusqu'à la conquête romaine.

Ce biais dans la composition des témoins de navigation, entraîne une surestimation probable du rôle et de la représentativité des pirogues monoxyles. Si ces embarcations ont constitué un type commun depuis le foisonnement des forêts primaires de l'Holocène, il n'est selon toute vraisemblance pas resté ni unique ni même majoritaire. Il a probablement existé, dès l'origine, voire même avant les premiers monoxyles, une vaste variété typologique de bateaux composites en peaux (partout) et écorce (au nord) ajustées sur une charpente légère. Dès le IIe millénaire av. notre ère au moins, s'y sont ajoutés plusieurs types de bateaux en charpentes végétales, appelés à se complexifier au cours du temps. Sur les eaux intérieures, de nombreux types de radeaux et bacs ont probablement coexisté avec ces bateaux. Le champ des possibles du monde nautique est, ainsi, bien plus complexe que ce que nous renvoie le strict enregistrement archéologique.

Comment dépasser ce biais de la documentation ? A l'inverse des pirogues monoxyles, toutes ces embarcations ont en commun de résulter d'un assemblage de pièces architecturales qui peuvent, une fois abandonnées sur une rive, se désolidariser et évoluer en fragments trop éloignés de leur architecture originelle pour être immédiatement identifiables : fût de radeau déstructuré, arceau structurel ou latte de bateau de peaux, planche unique.

Cette communication proposera des pistes pour identifier ces éventuels vestiges non reconnus, car trop éloignés de leur architecture originelle. Nous poserons les principes d'un axe de recherche pour dépasser l'actuelle lacune de documentation concernant ce qui fut probablement un des domaines techniques sur matériau ligneux les plus investis à l'époque.


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