Bien qu'elle soit l'une des premières aires géographiques ayant fait l'objet de fouilles préhistoriques hors d'Europe et ce, dès 1877, avec les travaux du préhistorien français Emile Carthaillac à Samrong Sen au Cambodge, l'Asie du Sud-est est également le berceau historique de la paléoanthropologie grâce à la démarche volontariste du hollandais Eugène Dubois qui, s'expatriant vers les «Indes-orientales» pour rechercher le «chaînon-manquant» sous les tropiques, devint l'inventeur de Homo erectus découvert sur le site de Trinil en Indonésie, en 1891. Si du point de vue de la préhistoire, en construction depuis l'aire euro-méditerranéenne à la moitié du XIXème siècle, les autres aires du monde ont été investiguées à l'aune occidentale (Paléolithique, Mésolithique, Néolithique, Âge des métaux) et portées notamment par un élan colonialiste généralisé sur le terrain, l'Asie du Sud-est est quant à elle, un emblème des hiatus, des lacunes et des absences archéologiques à plus d'un titre.
De la présence ancienne de matériel « acheuléen » ignorée ou contestée, à une « stase » culturelle « atypique » longue de 30 000 ans avec une industrie uniquement sur galet : le Hoabinhien, en passant par l'absence de référentiel faunique fiable pour l'ensemble du Pléistocène ou l'existence d'un télescopage entre un «Néolithique» et des Âges des métaux, l'Asie du Sud-est apparaît comme un horizon périphérique qui questionne la construction d'une préhistoire qui prétend être universaliste.
Le manque de suffisamment de recherche ou l'ignorance de toute une région questionnent nos modalités de compréhension de l'histoire et de l'évolution de l'ensemble des sociétés anciennes et de leurs interactions et, à tout le moins, nous incitent à devoir changer de paradigme. Un grand paradoxe s'y exprime également. Pour des raisons géopolitiques, en Asie du Sud-est, les recherches se sont interrompues notamment dans la seconde moitié du XXème siècle et, préhistoire ou archéologie sont restées des sciences de luxe pour pays riches quand les préoccupations nationales se restreignirent pendant longtemps au domaine économique. Ce vide pourrait apparaître comme la chance d'y appliquer désormais, à bon escient, tous les nouveaux champs de l'archéologie et tout un ensemble de progrès non entachés par ses essais-erreurs historiques en particulier dans le domaine de la chronologie ou de la génétique. Malheureusement ces territoires prometteurs de la recherche (on y a dernièrement découvert de nouvelles humanités fossiles) sont de grands espaces vides où le manque de partenaires locaux laisse la part belle à de trop nombreux chasseurs-collecteurs de données occidentaux dont les méconduites scandent régulièrement l'histoire et l'actualité de la préhistoire sud-est asiatique.
When scoop-hunters gather data in Southeast Asia...
Although it is one of the first geographical areas to have been the subject of prehistoric excavations outside of Europe and this, since 1877, with the work of the French preistorian Emile Carthaillac at Samrong Sen in Cambodia, South-East Asia is also the historical cradle of paleoanthropology thanks to the voluntarist approach of the Dutchman Eugène Dubois who, expatriating to the "East Indies" to search for the "missing link" under the tropics, became the inventor of Homo erectus discovered on the site of Trinil in Indonesia, in 1891.
If from the point of view of prehistory, under construction since the Euro-Mediterranean area in the middle of the 19th century, the other areas of the world have been investigated in the Western way (Paleolithic, Mesolithic, Neolithic, Age of Metals) and carried in particular by a generalized colonialist impulse in the field, Southeast Asia is an emblem of hiatuses, gaps and archaeological absences in more than one way.
From the ancient presence of "Acheulean" material that is ignored or contested, to an "atypical" cultural "stasis" that is 30,000 years long with an industry based solely on pebbles: the Hoabinhian, to the absence of a reliable faunal reference for the entire Pleistocene or the existence of a telescoping between a "Neolithic" and the Metal Ages, Southeast Asia appears to be a peripheral horizon that questions the construction of a prehistory that claims to be universal.
The lack of sufficient research or the ignorance of a whole region questions our methods of understanding the history and evolution of all ancient societies and their interactions and, at the very least, incites us to have to change our paradigm. A great paradox is also expressed here. For geopolitical reasons, in Southeast Asia, research was interrupted, notably in the second half of the 20th century, and prehistory and archaeology remained luxury sciences for rich countries when national concerns were restricted to the economic domain for a long time. This void could appear as the chance to apply from now on, with good reason, all the new fields of archaeology and a whole set of progress untainted by its historical trials and errors in particular in the field of chronology or genetics. Unfortunately, these promising territories of research (new fossil humanities have recently been discovered there) are large empty spaces where the lack of local partners leaves room for too many Western hunter-gatherers of data whose misconducts regularly scandalize the history and the actuality of Southeast Asian prehistory.
Keywords: Southeast Asia, history of science, paleontology, prehistory, archaeology, anthropology