Hiatus, lacunes et absences : identifier et interpréter les vides archéologiques
31 mai-4 juin 2021 Toulouse (France)
Récit idéologique ou vie réelle ? Expression funéraire du genre à l'épreuve des données bioarchéologiques
Aline Thomas  1@  , Céline Bon, Christina Cheung, Solène Delon, Marina Delvigne, Mona Le Luyer, Juliette Sauvage, Polina Syrikova@
1 : Éco-Anthropologie  (EA (UMR_7206))  -  Site web
Université Paris Diderot - Paris 7 : UMR_7206, Museum National d'Histoire Naturelle : UMR_7206, Centre National de la Recherche Scientifique : UMR_7206
Musée de l'Homme - 17, place du Trocadéro - 75016 Paris -  France

L'irruption des monuments de type Passy dans le Bassin parisien vers 4700 avant J.-C. marque une rupture avec les pratiques funéraires du Néolithique ancien. Ce nouveau contexte sépulcral, rattaché à la culture Cerrny, offre un observatoire privilégié des mutations sociales au cours du Néolithique moyen, en France. Deux clés interprétatives du fonctionnement funéraire avaient été apportées lors du Colloque de Nemours, en 1997. La première éclairait la valeur symbolique du mobilier dans les tombes : outillage en matière dure animale et pointes de flèche sont une évocation de la chasse (I. Sidéra). La seconde clé concernait le fonctionnement de la nécropole monumentale de Balloy, et le rôle structurant de l'identité sexuelle des défunts (P. Chambon). Plus tard, l'analyse des pratiques funéraires de l'ensemble des sites Cerny combinée à un bilan ostéobiologique de la population a permis d'affiner notre perception du système funéraire à l'échelle culturelle (Thèse A. Thomas 2011). Divers statuts des inhumés, hiérarchisés et répétés de nécropole en nécropole, jouent un rôle prépondérant dans leur organisation. Cette démarche, qui conduit à isoler plusieurs catégories d'hommes de pouvoir – les « chasseurs » notamment – traduit à l'opposé, et en dépit d'une présence numérique égale à celle des hommes, une quasi-invisibilité des femmes. L'exaltation de la chasse, du monde sauvage et du masculin semble ainsi devoir résumer l'ambiance idéologique Cerny. Que traduit cependant une telle structuration genrée du monde des morts de l'organisation sociale des vivants ?

Les nouvelles analyses morphologiques, isotopiques et paléogénétiques des restes humains Cerny (projet ANR-17-CE27-0023 NEOGENRE) documentent divers aspects de la vie des individus et permettent de tester la relation ambigüe entre affichage idéologique et vie réelle. Les statuts funéraires identifiés se traduisent, au moins en partie, par une division sexuelle effective des activités. Les chasseurs idéels ont été des archers réels. Si l'activité est strictement masculine, elle ne concerne pour autant pas tous les hommes ; une certaine division sociale de la fonction se surimpose ici à la notion même du genre. Le rôle social prime également dans le domaine alimentaire : les archers n'ont pas consommé exactement les mêmes ressources que le reste du groupe, hommes et femmes confondus. Un comportement alimentaire genré devient néanmoins perceptible lorsque l'on dépasse la seule notion d'apport nutritionnel. Quoique de même nature, les aliments consommés par les femmes ont été moins finement transformés. Mis à part les archers, la population a, d'une manière générale, privilégié une alimentation carnée d'origine domestique, ce qui contraste avec le monde sauvage auquel sont intrinsèquement rattachés les parures et viatiques en matière dure animale retrouvés dans les tombes. Cet univers idéologique, qui peut être envisagé comme une résurgence culturelle mésolithique, questionne plus largement l'héritage génétique Cerny, et les épisodes de métissage avec les descendants des chasseurs-cueilleurs locaux. Les marqueurs génétiques uni-parentaux (ADN mitochondrial) révèlent que les femmes mésolithiques ont relativement peu contribué à l'héritage génétique Cerny, ce que corroborent les premiers résultats génomiques. Les données du chromosome Y demeurent une voie de recherche pour l'analyse d'éventuels mécanismes d'héritage biologique du pouvoir portée par la lignée paternelle.

 

Ideological tale or true story? Burial expression of gender put to the test of human bioarchaeological data

The appearance of Passy-type monuments in the Paris Basin, at around 4700 BC, marked an abrupt break with the early Neolithic period in terms of burial practices. The monumental graves, linked to the Cerny culture, offers a privileged observatory for examining social changes during the Middle Neolithic period in France. In 1997, the Nemours Congress on the Cerny culture provided two interpretive keys of the burial practices. First, the grave goods: items made of either animal material or flint arrowheads are an expression of connection with the wild world and hunting (I. Sidéra). Second, the sex of the dead appears to structure the organization of the monuments and graves in Balloy (P. Chambon). Subsequent analyses of the burial practices of all known Cerny cemeteries in the Paris Basin, combined with an osteo-biological assessment of the population, made it possible to refine our understanding of burial organization at a cultural scale (Thesis A. Thomas 2011). Across Cerny cemeteries, burial practices appeared to share a consistent definition of social status and stratification. Specifically, one can identify several categories of individuals of power, in particular “hunters”, who are always identified to be men. This is in stark contrast to the women, whom despite being equally numerous, showed relatively little importance in the cemetery. The recognition given to the hunters, of the wild world, and of the masculine, thus seems to sum up the ideology of Cerny. However, how does such a gendered structuring of the world of the dead reflect upon the social organization of the living?
The new morphological, isotopic and paleogenetic analyzes of the Cerny human remains (ANR-17-CE27-0023 NEOGENRE project) examines various aspects of the living and make it possible to test the ambiguous link between ideological display and real life. The burial statuses reflected, at least in part, an effective sexual division of activities: the “hunters” were actual archers. While archery was a male activity, it does not concern all men. A certain social division of function is superimposed here on the very notion of gender. The social role also influenced the diet: the archers did not consume exactly the same resources as the rest of the group, men or women. Nevertheless, gendered dietary behaviors becomes more perceptible when going beyond the mere notion of nutritional intake. Although likely of similar nutritional values, the foods consumed by women have been less finely processed. Aside from the archers, the population had, in general, consumed a large amount of protein from domesticated animal. This contrasts with the ornaments and goods made of wild animal materials found in the graves. The Cerny burial ideological universe, that has been seen as a Mesolithic cultural resurgence, questions more broadly the Cerny genetic heritage, and the episodes of genetic exchange with the descendants of local hunter-gatherers. Maternal genetic markers (mitochondrial DNA) reveal that Mesolithic women contributed relatively little to the Cerny genetic inheritance, which is corroborated by our first genomic results. Y chromosome data will be explored more in detail next to better understand possible mechanisms of inheritance of power carried by the men.


Keywords: Neolithic, Cerny, biological sex, activity, diet, interbreeding, stable isotopes, dental macro/ micro-wear, ancient DNA


Personnes connectées : 63 Flux RSS | Vie privée
Chargement...