Le processus de néolithisation est un moment particulier de la Préhistoire en Europe occidentale, lequel a été soumis à un déplacement complexe et arythmique, marqué par divers moments de progression et d'adaptation tout au long de sa progression à travers ce nouveau territoire. Les premières traces de néolithisation dans le nord des Alpes françaises vont ainsi apparaître dans la seconde moitié du 6e millénaire BP, soit environ entre 5500 et 350 cal. BC. Cependant, la présence de nombreuses imprécisions dans la séquence chronoculturelle locale, résultant entre autres de l'absence de sites révélant une stratigraphie complète ou de fouilles trop anciennes, les mécanismes de son implantation sont encore aujourd'hui difficiles à appréhender.
La question est d'autant plus complexe qu'à cette période, une certaine promiscuité, tant géographique que temporel, semble exister entre les derniers chasseurs-cueilleurs autochtones et les premiers groupes agropastoraux à venir s'installer dans la région nord-alpine. Cette proximité aurait également pu mener à des phénomènes d'acculturation dans les systèmes techniques de l'un ou des deux groupes humains. Plusieurs sites vont ainsi nous livrer des ensembles archéologiques aux industries qualifiés de « mixtes », où dans un même niveau archéologique vont se retrouver conjointement des mobiliers caractéristiques du Second Mésolithique et du Néolithique ancien. Jugés comme peu fiables et issus de brassages taphonomiques d'occupations asynchrones, ces ensembles vont troubler la diachronie de la néolithisation des piémonts nord-alpin français.
Une nouvelle étude complète des mobiliers lithiques issus des fouilles récentes de l'abri-sous-roche de La Grande-Rivoire (Isère, France) offre de nouvelles pistes permettant de mettre à jour nos connaissances des modalités de la néolithisation dans les Alpes françaises du Nord. Le site a en effet révélé l'une des rares séquences stratigraphiques fiable pour la période, caractérisée notamment par une occupation presque sans interruption des débuts du Mésolithique à la période gallo-romaine. La présence d'un corpus lithique conséquent de plusieurs milliers de pièces a ainsi favorisé l'analyse des chaînes opératoires des différents ensembles dans l'optique de jeter un nouveau regard sur le cadre chronoculturel entourant le passage des modes de vie chasseur-cueilleur à celui d'agropasteurs dans le contexte nord-alpin.
Nous aborderons ici les premiers résultats de l'étude des ensembles archéologiques des phases récentes du Second Mésolithique au Néolithique ancien pré-bergerie de La Grande-Rivoire, portant plus particulièrement sur l'observation des changements de comportements dans les chaînes opératoires de débitage et de façonnage des industries lithiques. La mise en évidence d'éventuels traits de rupture ou de continuité entre les systèmes techniques nous permettra ainsi de mieux appréhender certains mécanismes de ce contexte de néolithisation encore confus. Nous traiterons également de la question de l'origine des armatures tranchantes. Communément baptisées « flèches de Montclus » et attribuées au Néolithique ancien, certaines fouilles récentes ont au contraire révélé la présence de ces pièces au sein d'ensembles attribuables au Second Mésolithique. Une étude plus complète des modes de façonnage de ces pièces caractéristiques pourrait en l'occurrence mettre en évidence la possibilité d'interactions entre les derniers groupes chasseurs-cueilleurs autochtones et les nouveaux arrivants dans les Alpes françaises du Nord.