L'archéologie brésilienne s'est constituée au cours du XXe siècle par des influences et des reformulations de propositions théoriques et méthodologiques issues de l'Amérique du Nord et de l'Europe. Ces apports furent ambivalents. S'ils ont permis de tracer les grandes lignes du passé ancien du Brésil, ils se révèlent chaque fois moins adaptés aux contextes spécifiques de l'archéologie dans cette région.
De même que dans les autres pays américains, la division entre Paléolithique et Néolithique n'a jamais été adoptée par les archéologues au Brésil. La division temporelle la plus marquante y est, depuis le début du XXe siècle, la dichotomie entre Préhistoire et Histoire. Au Brésil comme dans la plupart des espaces colonisés à l'époque moderne, la préhistoire est entendue comme la période antérieure à l'arrivée des Européens. Moment qui, dans les Amériques, correspond à la charnière entre les XVe et XVIe siècles. La préhistoire ne s'y réfère pas seulement à une période, mais aussi à une conjonction de facteurs autres que l'aspect purement temporel. Comme d'autres, le concept de préhistoire est utilisé pour définir, classifier et organiser l'Autre. Il s'insère dans un discours d'identité/altérité qui ne peut être totalement compris qu'en prenant en compte le contexte historique et politique dans lequel il fut formulé.
Le cas du Brésil est particulièrement intéressant car, par sa dimension tropicale aussi bien que par son emplacement dans le Nouveau Monde, il se trouve doublement à la périphérie des contextes ayant contribué à conceptualiser le passé ancien de l'humanité.
Dans cette communication, nous traiterons successivement de trois aspects. En premier lieu, nous présenterons les limites théoriques et méthodologiques de la transposition de la notion de préhistoire à l'archéologie brésilienne, où les processus sociaux et culturels ont suivi des trajectoires bien différentes de celles du modèle chronologique européen. Nous examinerons ensuite les implications politiques de l'utilisation de cette notion pour les sociétés amérindiennes, puisque la dichotomie Histoire/Préhistoire est à l'origine d'une division temporelle abrupte et arbitraire qui prive ces populations de leur profondeur historique. Ce découpage chronologique a des conséquences bien concrètes et bien actuelles quant aux droits des peuples autochtones sur leurs terres ancestrales. Enfin, nous dresserons un panorama des propositions faites dans l'archéologie brésilienne aujourd'hui pour mettre en place un fondement épistémologique de l'étude du passé ancien qui soit en meilleure adéquation avec la réalité et la spécificité de ce contexte.